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Olivier

Apprendre à lutter contre la dyslexie et ses autres handicaps, c’est se donner les moyens de faire ce que l’on veut de sa vie. C’est obtenir les clés pour comprendre ce que l’on lit, ce que l’on compte, ce que signifient les choses qui nous entourent. C’est acquérir les moyens de s’exprimer comme tout le monde.  Lutter contre la dyslexie, c’est apprendre plus tôt que les autres certaines valeurs.

Sans toutefois la remercier, je dois concéder que ma dyslexie est un des éléments essentiels qui a permis de forger ma personnalité. Si cette déficience a, sur de nombreux plans, été un poids, et l’est toujours dans ma vie, elle m’a appris qu’un ensemble de difficultés ne doit jamais être abordé avec défaitisme.

Quoique celles-ci peuvent sembler indépassable, il faut tenter l’aventure de les défier. La dyslexie et autres déficiences qui peuvent atteindre un jeune durant sa scolarité ne sont pas des difficultés indépassables. Elles ne sont toutefois pas des handicaps que l’on peut effacer et la personne qui en est atteinte devra toujours lutter contre. Cependant, elles peuvent amplement être surmontées et réduites au silence dans la mesure où l’on compense ses effets néfastes. Pour cela, il faut disposer d’une aide de la part des professionnels avec lesquels on établi un rapport serein pour s’y attaquer. De plus, il faut que le jeune soit conscient du travail qu’il doit fournir. Les heures qu’il aura à apporter seront nombreuses mais les résultats, d’abord lents à venir, seront généreusement à la hauteur du labeur effectué.

J’ai été diagnostiqué dyslexique, dysorthographique, dyscalculique et dysgraphique lors de mon année de Cours Élémentaire, à neuf ans. Avant cela, j’avais déjà doublé mon année de Cours Préparatoire  et je peinais dans la totalité des matières que l’on m’enseignait. La lecture était une épreuve, les séances de calcul mental une torture et mes tentatives d’écriture tenaient plus d’une œuvre de Picasso que de mots. Situation frustrante lorsque tous ces modes de communication et d’expression sont fermés, frustration qui se transforme rapidement en colère et agressivité. À la suite de mon diagnostic, j’ai été déscolarisé. Deux ans durant, je fus inscrit en hospitalisation de jour à l’Institut Saint-Pierre à Palavas-les-Flots.

C’est un endroit qui garde pour moi une forte ambiguïté comme étant le lieu qui, d’une part, m’a permis d’acquérir les outils nécessaires pour lutter contre ma dyslexie mais, d’autre part, le lieu où j’ai dû donner un travail abondant, souvent synonyme de déception. Bien que les classes soient aménagées de la meilleure façon, il n’en demeure pas moins que cela reste un hôpital, donc, un lieu d’appréhension et de réserve pour les enfants. Ma première année de scolarité à l’Institut Saint-Pierre fut mitigée. Je faisais des progrès visibles grâce aux soutiens pédagogiques de l’équipe éducative.

Un travail intense est demandé qui passe par des cours d’écriture, de lecture et de calcul adaptés mais aussi plusieurs heures d’orthophonie et de psychomotricité dans mon cas, parmi d’autres soutiens disponibles. Toutefois, mes progrès ne me satisfaisaient pas induisant une baisse de motivation. Confronté à cette situation mes parents et l’équipe éducative me mirent le dos au mur : j’avais des difficultés et bien que les personnes qui m’entouraient fassent ce qu’elles pouvaient, j’étais le seul à pouvoir me sortir d’affaires. Non sans pressentiment, je pris conscience que j’étais capable de m’en sortir par mes efforts. Ce fut le déclic qui me permit de remonter la pente.

Ici, on touche au point essentiel qui permet au jeune souffrant de dyslexie de se tirer des ronces. Il faut réunir trois éléments dans ce combat : l’aide  de la sphère professionnelle, le soutien de la famille et enfin la prise de conscience par l’enfant qu’il est le seul à pouvoir fournir le travail indispensable. Le personnel professionnel est l’élément directeur dans la scolarité de l’enfant. La famille est l’élément rassurant, remotivant dans les moments de découragement, elle doit être très présente et garder un certain esprit d’indépendance vis-à-vis de la sphère médicale. Je n’ai pas la clé miracle pour donner à son enfant l’envie de s’en sortir, je peux tout juste dire que, dans mon cas, l’envie d’être un élève ordinaire et de pouvoir être capable de lire, écrire et compter seul, m’ont motivé. Pour moi, travailler maintenant signifiait être libre plus tard.

Ma seconde année à l’Institut Saint-Pierre, c’est passé plus sereinement à mesure que mes progrès prenaient de l’ampleur. Il s’est donc posé la question de ma réintégration dans un cursus scolaire ordinaire. Bien que mes déficiences en lecture et calcul aient été en partie compensées, je conservais toujours ma dysgraphie. Je devais donc être équipé du support informatique en cours. Toutefois, j’étais totalement inapte à l’utilisation d’un logiciel de traitement de texte, on était alors en 2002. Le dispositif permettant de posséder un ordinateur pour écrire est une idée adroite qui cependant ne sert à rien si l’enfant ne sait pas s’en servir suffisamment pour pouvoir suivre en cours. C’est ici que mes parents entèrent en contact avec le centre informatique d’Isabelle Girod-Charrière qui proposait des cours de formations adaptées aux troubles DYS. Ce fut un autre dur chemin à faire du fait de la rigueur à fournir pour pouvoir apprendre rapidement et correctement la dactylographie. Des exercices quotidiens et répétitifs. J’ai commencé les cours avec Isabelle en mars 2002 et en septembre de la même année, j’étais prêt pour être replacé dans un cursus scolaire normal en première classe du Cours Moyen. J’ai eu la chance de trouver une école qui m’accueillit sans difficulté malgré mon parcours scolaire chaotique et mon ordinateur. L’ensemble de l’équipe pédagogique me permit de m’intégrer en cours, sans subir d’exclusion de la part des autres élèves.  Bien qu’étant redevenu un élève ordinaire, je bénéficiai toujours de séance d’orthophonie via une orthophoniste des Services d’Education Spécialisés et de Soin à Domicile (SESSAD) qui se déplaçait à l’école. C’est durant cette année de réintégration que les deux années de travail fournit furent récompensées. Je menais un parcours scolaire très convenable et, de plus, je découvris enfin que la lecture pouvait être non pas une besogne mais un plaisir. Les premiers livres que j’ai dévorés, avec plaisir, furent les Harry Potter. Une lecture facile pour un enfant ordinaire de onze ans mais une victoire sans nom pour moi, qui quelque mois plutôt, luttait pour lire « locomotive ».

La suite de ma scolarité ne fit qu’entériner ses premiers résultats positifs. Je passai au collège avec des résultats corrects. Mon intégration avec le support informatique fut globalement réussie. Chaque année, il me fallait renouveler les autorisations médicales pour pouvoir bénéficier du support informatique. Il est parfois difficile d’obtenir des rendez-vous avec les médecins dans les délais imposés par les examens, il faut donc s’y prendre à l’avance pour éviter les mésaventures qui, d’expérience, sont angoissantes. J’ai continué à prendre des cours d’informatique chez Isabelle pendant plusieurs années tant dans le but de maintenir mon niveau que par le plaisir que je prenais aux différents cours qu’elle dispensait.

J’ai depuis mon année de troisième arrêté tout soutien orthophonique et scolaire hormis le support informatique. Toutefois, mes déficiences n’ont pas disparues. Mon écriture reste toujours, pour une grande partie, illisible mais l’utilisation de l’ordinateur annihile ce problème, il m’arrive encore d’hésiter quelques secondes entre certaines orthographes de mots ou entre ma gauche et ma droite. La quantité de travail que je dois fournir pour atteindre un niveau de résultat similaire aux autres est plus importante. Il n’en demeure pas moins que je suis toujours aussi fier de moi lorsque mon travail paye. Pour ce qui est de l’intégration du support informatique en classe, il m’est arrivé de devoir subir la réprobation de certains professeurs restés à la « vieille école », pour qui la dyslexie n’existe pas hormis dans la fainéantise des élèves. Je dois concéder que ces remarques m’ont blessé alors que j’étais encore jeune. Être ainsi stigmatisé en classe et critiqué injustement par un professeur afflige une morsure assez désagréable. Face à de telles attitudes, j’ai abandonné toute colère ou rancune et je me suis décidé à leur faire mes preuves. Un professeur, aussi passéiste qu’il soit est obligé de reconnaître la valeur d’un élève lorsque celui-ci lui rend une bonne copie.

J’ai aujourd’hui vingt ans (janvier 2012) et j’ai de quoi être satisfait de mon parcours scolaire. J’ai obtenu en juin 2011 le bac série Économique et Sociale avec la mention Très Bien, diplôme qui a été suivie par la réussite aux concours des Instituts de Sciences Politiques. Désormais, les gens n’accordent plus d’importance au fait que je n’ai su lire qu’à dix ans au lieu de sept ou huit ans. Ces diplômes, pour moi, ne sont pas l’accréditation d’une normalité. Ils ne signifient pas « bravo, vous êtes devenu normal » accordé par l’Éducation Nationale. Ils sont les symboles du travail que j’ai été capable de fournir, qui m’a permis durant le lycée d’aimer mes études, me permet maintenant de « m’éclater » dans mes études supérieures et plus tard de choisir ce dont j’aurais envie de faire. Je remercierai toujours les personnes qui m’ont aidée, tant celles de ma famille que celles du monde médical et paramédical, et je les remercie également de continuer à aider d’autres jeunes.